Sylvia Netcheva ou l'art retrouvé du collage

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Biographie de Sylvia Netcheva.

60 pages.
Dans le dialogue du film de Marc Allégret, Henri Jeanson disait : " Tu ferais un excellent critique. Tu parles fort bien de ce que tu ne connais pas. "
Et dans son ouvrage, Le coq parisien, Jean Cocteau répond :
"  La critique compare toujours. L'incomparable lui échappe. "
Il semble bien que l'œuvre de Netcheva  répond en écho à ces critères.
On ne peut s'empêcher, comme dirait Cocteau, de comparer les œuvres de Nétcheva à la démarche des symbolistes, ou plus précisément au mouvement des Nabis.
Certes comme les symbolistes - Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Ravel, Debussy, Moreau, et tant d'autres - elle préfère la suggestion et l'allusion qui préservent le mystère - l'épanchement du songe dans la vie réelle - le réseau des correspondances ; l'alphabet magique de l'univers dans lequel tout devient signe et symbole.
Mais la part du songe est-elle uniquement le reflet de celui qui s'y plonge ?
Cela serait se méprendre, car l'œuvre de Netcheva va au-delà d'un simple classement, elle est une absence de comparaison.
Son œuvre ne se classe pas, elle se surclasse.
Si Netcheva fait parler les fées et les arcanes dans les dédoublements de ses fils de papiers - si elle donne une histoire à ceux qui n'en ont plus - comme l'acte premier de toutes religions, les équivalences de matières que produit son art, allie le pouvoir suggestif à la présence plastique, et cela n'est qu'un non dit qui se situe au dehors de tous codes.
Il ne fait aucun doute que Netcheva connaît l'histoire de l'art, qu'elle en a étudié toutes les tendances, tous les aspects, toutes les interprétations et leurs techniques.
Partant de là elle aurait pu comme tant d'autres artistes devenir la suite logique de ce maillon sans fin qu'est l'histoire de l'art relié par les passions et les froides applications de ses acteurs.
Mais, face à ce scénario classique et normalisant, Netcheva fait preuve de sa  personnalité sans commune mesure dans l'art du collage, tant par ses œuvres que par son approche à la créativité.
Elle ne se situe pas dans un mouvement ou une tendance - et citer ses travaux comme étant une application textile, est réduire son œuvre sous une étiquette particulièrement réductrice.
Pourquoi prétendre qu'une femme artiste ne pourrait s'exprimer que dans un cadre d'application textile : est-ce sous-entendre qu'elle est bien la fille de son peuple, tri--cotant le costume traditionnel bulgare, pendant que l'homme - l'artiste, puisque homme,  et non la femme reléguée à l'application culinaire ou textile- s'occuperait sérieusement des profondeurs de la création artistique.
Il y a des gens à qui on préfère coller des étiquettes dans le dos.
Il y a des artistes femmes à qui il est préférable de coller une étiquette sur les lèvres…de peur d'entendre que l'art est affaire de féminité, et que la créativité ne choisit ni le sexe, ni l'ordre social, de celui ou de celle qui en sera le porte-parole.

Netcheva a tout appris de l'histoire de l'art et a eu le génie ou l'intuition de tout oublier, de tout effacer, et de tout recréer, restituant l'acte créateur premier, celui qui fut et restera la création pure d'avant même la création.
Ni art brut, ni art pauvre, ni art d'artisanat, ni art académique aux référents histographiques, ni art minimaliste, son œuvre est première. Ne faisant aucune référence à l'histoire de l'art, ou qui contiendrait en elle toute l'histoire de l'art, comme l'a tant rêvé Mallarmé.
Toutes les œuvres font référence à l'histoire de l'art : technique parfaite, finition parfaite, création parfaite, œuvre manufacturable.
Mais l'art de Netcheva se situe avant l'art - avant vingt siècles de sueurs d'artistes - elle se situe dans l'acte d'avant la lutte, le premier jour de la première aube, avant la science et sa prescience, avant le visible invisible, elle est l'invisible vertige de la création, le geste miraculeux sans fin suspendu dans l'espace.
Il y a l'avant garde - celle qui  est devant l'arrière garde - mais Netcheva est avant l'art.
Tout est textile, tout est collage, tout est peinture, et de cela naît l'art retrouvé du collage, comme l'union de tous les éléments, et ce n'est pas un hasard si sa signature en monogramme encollée sur ses œuvres fait appel au graphisme typographique.
De multiples éléments composent ses œuvres, mais le contraste n'est que subjectif, une douce transition, ne faisant appel à aucun affrontement de matière, et ses collages en nous réfléchissent mieux que nous le miroir de la part primitive de nos destinées.
Œuvre parfaite d'initié.
Mais l'initiée elle-même connaît-elle son secret, ou en a t-elle perdu la clef comme elle a effacé toute empreinte de l'histoire de l'art pour n'en conserver aucune trace, autre que celle de l'esprit des Thraces.
Alchimie perdue, tentation éperdue,  faudrait-il en interpréter les arcanes :
Signe de Dieu,
Dieu te donne le signe,
Mais tu ne sais qui te l'a donné !

Du chromatisme à la spatialité, du code photographique à la morphologie, de l'esthétisme à la matérialité, la polysémie de l'œuvre nous renvoie au signe de l'artiste.
Souligné par les titres - Interroger les mots pour chercher le sens de l'œuvre - le leitmotiv résonne de toile en toile, de ricochet en ricochet : Sacrifice, Offrande, Supplice, Temple, Relique.
Les symboles répondent en chœur : la plume, presque duvet, comme trace de l'enfance, force génératrice de vie, trace de l'envol, ou trace de la chute.
Le grillage, la cage de l'oiseau, l'emprisonnement, les cordes, les liens, l'emprisonnement, la pâte à papier ses crevasses et ses aspérités, ses empreintes comme les empreintes de ceux qui ne sont plus.
Le chromatisme des couleurs, couleur de soie comme éffluve des peintures délavées, ocre des cavernes primitives, et la dentelle en féminité, tradition respectueuse de l'immortel féminin, des fils comme des toiles d'araignées, et cette toile qui retient de toujours de s'envoler…
Je rêve de m'envoler disait-elle et répète t'elle toujours aujourd'hui.
Tout est affaire d'elle - tout est affaire d'ailes.
Je rêve de m'envoler - son premier collage à quatre ans  n'était-il pas déjà un papillon ?
L'artiste garde t-elle en son œuvre la plume comme trace de la chute de celle qui voulait s'envoler - ou la plume comme trace de celle qui s'est envolée, comme pour mieux dire : je ne suis déjà plus ici !

Et les toiles se succèdent, et les signes portent les mots comme les maux de tout un peuple : " L'effleurage ", un lien retient l'œuvre dans l'œuvre retenue, l'œuvre retenant l'œuvre : ne jamais s'envoler !
" La parcelle de l'immensité ", encore une œuvre retenant par les cordages une autre partie d'elle-même, le signifiant et le signifié : ne jamais s'envoler !
" La fortune ", toujours deux œuvres en une. Mais avant la séparation, la démarcation de deux parcelles, l'une au milieu de l'autre : les liens unissent ( union par séparation ) et ne produisent aucun espace libre, mais les différences ( accentuées par les couleurs vivaces de l'une, et la neutralité opaque de l'autre) révèlent une séparation inévitable.
Aucune plume sur la surface retenue et liée : mais une dentelle, trace de féminité : c'est la femme qui est retenue, c'est la femme qui veut s'enfuir, c'est la femme qui est déjà partie.
" Sacrifice  ", titre particulièrement utilisé, obsession, sacrifice ( celui du non départ ) : je suis sacrifice parce que je suis sacrifié, l'œuvre en elle-même est sacrifice-sacrifié puisque l'artiste est sacrifié-sacrifice.
Parmi de multiples matières, corde, fil d'or, plume, se dessinent en relief une amphore ( pour l'offrande ?) ou un navire dont les mats seraient composés de cordes et de liens vers le ciel. Magie noire pour œuvre blanche.

On ne peut porter un regard sur une œuvre sans y transmettre ses propres fantasmes, ses propres illusions et désillusions.
Et si je dis de mes lèvres muettes : Netcheva, n'est-ce pas là un moyen de m'approprier ce nom, cette œuvre et cette vie pour étayer ma propre vision du mensonge universel, du départ inéluctable de toutes choses, du transfert des âmes à nos songes accolés.
L'art est silence dit-elle.
Mais il existe des œuvres qui vous incitent au dialogue : les œuvres vous parlent et leur silence n'en est que plus élogieux.
Cette résonance unique, cette alchimie secrète est au sein même de l'œuvre de Netcheva, cela se nomme l'art des arts, cela se nomme poésie.
Et si la plume signifie l'absence, il faut déflorer l'âme de l'artiste qui hante chaque toile par les chuchotements déposés : l'artiste vous guide : il est le médium entre Dieu et les éléments.
L'artiste ne se découvre que pour mieux se découvrir soi même.
En cela, les œuvres de Netcheva illuminent en nos âmes la marqueterie de nos sentiments étouffés.